Liste des articles
SIMON DESROCHERS
Partager sur :
26 septembre 2023

Annick Hayraud, Passe après contact

Joueuse, entraîneur puis manager, elle a contribué pendant plus de trois décennies à rendre plus visible le rugby féminin. Multi-titrée en club puis avec l’équipe de France de rugby à XV, Annick Hayraud est aujourd’hui un modèle de réussite, au service de son sport et de sa pratique, aussi dès le plus jeune âge, par les filles. On refait le match d’une vie en Ovalie.


On s’était donné rendez-vous sur le stade de Riom, pour un premier contact et faire quelques images destinées à illustrer ce texte. Ballon ovale en main, Annick Hayraud était venue à notre rencontre tout sourire, quoiqu’un peu intriguée qu’on s’intéresse à l’ex-manager des Bleues, après son départ de la fédération française fin 2022, à l’issue, selon elle, de six années « d’émotions extraordinaires ». Il est vrai qu’un Grand Chelem en 2018, deux troisièmes places en Coupe du monde en 2017 et 2022 et une victoire historique sur les « Black Ferns », ces « fougères noires » néo-zélandaises aussi dominatrices du rugby mondial féminin que leurs homologues masculins, ne pouvaient que générer son lot d’émotions ! Mais ce serait mal connaître le monde de l’Ovalie que de s’en tenir aux seuls résultats, acquis sur comme au bord du terrain. Qui a pratiqué ce sport sait combien, pour reprendre le pédopsychiatre Marcel Rufo, « le rugby, école de la vie, est un splendide moyen de devenir grand... », et de s’imprégner d’un état d’esprit qui cultive « respect », « engagement » et « solidarité », trois valeurs consolidées au fil des ans sur tous les terrains où Annick a évolué, et qu’elle cite volontiers aujourd’hui comme fondamentales de sa construction en tant qu’adulte. Trois valeurs qui découlent d’une évidence : « au rugby, on a besoin de tous pour jouer et gagner, chacun peut trouver sa place dans une équipe, quelle que soit sa morphologie , et se mettre au service du collectif. Ça fait généralement de belles personnes à l’arrivée, c’est le plus important pour moi ».

 

« J’étais nostalgique de l’état d’esprit »

C’est dès 8 ans, en 1975, que la jeune Annick « suit ses copains » et fait ses premières passes avec cet étrange et capricieux ballon ovale, dans le club nouvellement créé de son village de la Limagne, Cheix-sur-Morge. Las, en 1981, année de changement, mais cruel pour elle, le club ferme ses vestiaires. La jeune «rugbywoman», qui sait vouloir « faire, plus tard, quelque chose dans le sport » s’essaie alors à d’autres sports collectifs « parce qu’elle sait aussi avoir parfois besoin de la dynamique de groupe pour avancer ». Ce sera un peu de basket, les Demoiselles de Clermont étant à cette époque autant d’exemples pour les jeunes Auvergnates, mais surtout le foot, à Riom. Pourtant, pour elle, rapidement, le compte n’y est pas : « j’étais nostalgique de l’état d’esprit du rugby, de la convivialité entre membres de l’équipe, comme de celle qui préside aux troisièmes mi-temps avec l’adversaire qu’on vient d’affronter. Je ne vivais rien de cela au foot ». Les dirigeants du club de Riom de l’époque ne feront pas vraiment le maximum pour retenir leurs filles : ils décident de donner plus de moyens aux garçons qui doivent descendre en division inférieure, au détriment de celles qui ont pourtant conservé leur place dans la leur.

 

« Même si c’était confidentiel, c’était extraordinaire pour moi de mettre un maillot bleu-blanc-rouge »

 

Aussi, lorsqu’un match amical en scolaire lui fait rencontrer l’équipe de Romagnat, et que les responsables de ce club auvergnat la remarquent et lui proposent de revenir en Ovalie, Annick accepte. La « petite », placée à l’aile à tout juste 18 ans, ne tarde pas à rejoindre un poste qui convient mieux à un caractère bien trempé, la voilà, à la « charnière » entre paquet d’avants et lignes arrières, à « l’ouverture », distribuant un jeu qu’elle prend à son compte et butant pour l’équipe.

 

Après les années d’apprentissage, commence ainsi la première mi-temps d’une vie qui va s’écouler pendant plus de trois décennies en Ovalie.

Car l’essai est transformé, au point qu’un an plus tard, la jeune Annick évolue avec le numéro dix en équipe de France, prenant un bail décennal en bleu à ce poste. « Même si tout cela était confidentiel, avoue-t-elle aujourd’hui, que l’on ne parlait pas ou peu de nous, c’était extraordinaire pour moi de jouer en équipe de France, de mettre un maillot bleu-blanc-rouge, d’évoluer avec les meilleures joueuses du pays... »

À l’approche de la trentaine, elle glisse au poste de trois-quarts centre, avant d’assurer à l’arrière, jusqu’à terminer sa carrière de joueuse en 2002 avec un Grand Chelem dans le tournoi des VI Nations féminin et une troisième place (après 1991 et 1994) en Coupe du monde.

Au passage, tout en long de ces années, Annick aura appris, pour le bien du collectif, à dominer un tempérament fougueux et protestataire, pas toujours apprécié du corps arbitral, qui la sanctionnera parfois de reculs « à dix mètres », avant que, avec l’expérience des années et les conseils de ses partenaires, vienne la sagesse et s’ajoute la responsabilité du capitanat.

 

Malgré les sacrifices consentis

 

De cette époque, Annick confiera garder « un souvenir extraordinaire », malgré les sacrifices consenties par les joueuses qui paient leurs équipements et déplacements, ne bénéficient d’aucune prime. C’est par exemple avec sa Renault 19 qu’Annick et ses équipières de Romagnat, sélectionnées comme elle, co-voiturent vers Paris, dorment chez l’une des premières dirigeantes de la fédération, Wanda Noury (aujourd’hui en charge de la fondation Albert-Ferrasse pour les blessés du rugby, elle-même officier de la Légion d’honneur), avant de prendre le car, le train ou l’avion pour telle ou telle destination...

 

Répondant à une consœur sur cette période aujourd’hui heureusement révolue, Annick Hayraud assurera que même s’il fallait alors vraiment « s’accrocher », rien ne pouvait les décourager, parce qu’elles étaient « hyper motivées » et ensemble, conscientes d’avoir à « se frayer un chemin et combattre les a priori, mais finalement, le lot des femmes dans la vie de tous les jours... »

Dans ce contexte, Annick s’estimait un peu privilégiée : « joueuse, j’avais de la chance d’avoir un employeur compréhensif, même si je consacrais tous mes congés au rugby. Mais je voyais aussi les obstacles rencontrés par les filles qui travaillaient à l’usine. Pour elles, c’était très difficile d’enchaîner journée de travail et entraînement. Et beaucoup ont dû faire une croix sur une carrière internationale, car elles ne pouvaient pas toujours partir lorsqu’on avait besoin d’elles. »

 

Un parcours « juste énorme »

Ces sacrifices ne seront pourtant pas vains, car les victoires pour le sport féminin ne seront pas que sur le terrain : en 1988, un championnat d’Europe est créé, puis une Coupe du monde en 1991, avant l’intégration de la France aux VI Nations en 1999, favorisée par la reconnaissance du rugby féminin comme « sport de haut niveau » par la ministre des sports de l’époque, Marie-George Buffet (1997-2002).

Et si la joueuse a pu « durer dans le temps, et prendre du plaisir, c’est qu’autour de moi, il y a toujours eu des gens extraordinaires, que ce soit en club ou en équipe de France et ça, c’est juste génial. »

C’est tout cela qui a contribué à construire la jeune auvergnate native d’un tout petit village de la Limagne, dans une famille d’ouvriers qui ne partait pas en vacances. Tout au long de sa carrière, le rugby lui a permis de voyager, de voir d’autres horizons, de faire des rencontres « fabuleuses », de s’ouvrir l’esprit... Un parcours au final « juste énorme »... et qui l’a conduit en juillet 2022 à la même promotion de la Légion d’honneur qu’un certain... Fabien Galthié, ces temps-ci en pleine préparation d’une première Coupe du monde en France, s’ouvrant le 8 septembre prochain contre les « Blacks », déjà magnifique affiche...

 

Jeu « à la française »

 

Ainsi forgée par l’expérience autant que par le tempérament, le temps venu de raccrocher les crampons, en 2002, Annick Hayraud poursuivra sa contribution au rugby féminin. Un coup de pied à suivre et la voilà en mission « transmission », à passer le témoin à la nouvelle génération. Elle entraînera le club à Romagnat, avant d’en manager l’équipe féminine, puis le XV de France féminin. La seconde mi-temps de la vie en Ovalie d’Annick se fera donc depuis sur le bord de touche ou en tribune officielle.

À ce titre et en prenant de la hauteur, elle devient témoin privilégié et acteur de la transformation d’un sport qui va progressivement délaisser un amateurisme longtemps revendiqué pour plonger dans les incertitudes d’un professionnalisme parfois improvisé.

Pendant ces années charnières, où l’affrontement sera privilégié chez les garçons au risque de l’ennui, les filles continueront à séduire crampons aux pieds, devenant gardiennes de ce jeu de mouvement contournant les affrontements, ce « jeu à la française », longtemps réputé si imprévisible que capable, parfois, de battre n’importe quelle équipe...

Au passage, nos « Amazones » y gagneront de sortir de la confidentialité. Ces années-là, chez les filles, on continuera de marquer beaucoup d’essais « en première main », avec en point d’orgue et démonstration réussie, la Coupe du monde féminine 2014 en France, qui fut alors une formidable vitrine médiatique. 

 

« Il faut que les joueuses d’aujourd’hui prennent aussi demain leur part de responsabilités »

Annick, habituée des rencontres devant des publics clairsemés, en sera la première surprise : c’est un remarquable succès public. Mais un succès qui soulignera une fois encore les nouvelles exigences physiques d’un jeu ambitieux, a fortiori pour tenir la distance sur une compétition de ce type, avec de courts temps de récupération entre chaque match. Annick Hayraud le constate : « ces dernières années, on a fait un grand pas avec les premiers contrats pros chez les filles, à la suite des Jeux olympiques où le rugby à 7 a montré qu’avec des joueuses sous contrat, on pouvait progresser très vite. Des contrats pour les filles du XV ont suivi. Aujourd’hui, même si on a pris du retard sur certains pays (l’Angleterre, la Nouvelle-Zélande...), ces contrats nous permettent d’avoir des joueuses de très haut niveau, pouvant s’entraîner tous les jours. » Restera à les maintenir toute une saison à ce niveau, avec un championnat domestique « qui ait de la gueule » proposant des rencontres au sommet, ce qui supposera, souligne Annick Hayraud, « des investisseurs misant sur la pratique féminine », et que celle-ci s’élargisse...

Notre interlocutrice compte-t-elle jouer un rôle dans cette évolution souhaitée ? « Cela dépendra du projet sportif qu’on me proposera. Mais je suis convaincue qu’il faudra être nombreuses pour faire encore avancer la cause des femmes sur les terrains. Pour cela, il faut que les joueuses d’aujourd’hui prennent aussi demain leur part de responsabilités, s’investissent comme entraîneur et/ou dirigeante pour faire évoluer ce sport dans un monde où beaucoup d’hommes parlent encore à la place des filles... » Cela revient presque à dire que si l’essai a été marqué, il reste à le transformer. De cela, l’ex demi-d’ouverture et arrière des années 80-90 a déjà une grande habitude. La troisième mi-temps de notre rugbywoman pourrait bien être passionnante...

Articles liés

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.